29.5.08
20.5.08
East Saint Louis
http://www.rue89.com/2008/05/20/east-saint-louis-ville-rayee-de-la-carte-des-etats-unis
7.5.08
Anniversaire
Voici un texte, original, pour fêter deux anniversaires en un. Tout d'abord celui des événements de mai 68, quadra souvent critiqué mais largement fantasmé. Du 68, on en bouffe. Tout le monde y va de son anecdote, de son reportage, même les médias les plus bourgeois y vont de leur minute de nostalgie et nous montrent les barricades, la Sorbonne... Nous ne sommes pas à un paradoxe prêt. Le deuxième anniversaire, c'est les un an de Sarkozy à la présidence, et ce texte évoque justement le jour J de son élection. Ce texte, pardon, ce cadeau, ce n'est pas un débat, ni une réflexion ou un regard nostalgique. C'est un récit, celui d'une mini insurrection, le sentiment de rage avant le coup de pompe et la migraine. Voici ce "pavé", écrit et raconté par un ami, que j'ai remodelé sans changer les faits.
Ça parait loin, le temps passe vite.
6 Mai 2007. Ce soir la France élit un nouveau président. Il n’y aura pas de surprise, le dénouement est connu depuis longtemps. Porté par l’armée bleue qu’il s’est constitué et bien aidé par des médias serviles, Nicolas Sarkozy se prépare à fêter son sacre. Ce soir, aussi, une majorité de Français va faire la fête.
Le temps est lourd. Légèrement ensoleillé. En vadrouille vers Nation, je me dirige avec un pote vers la place de la Bastille. Il est environ 19h45, à vrai dire je ne regarde pas trop l’heure. J’ai beau me dire que je me fous du résultat, une sorte de tension règne en moi. Un agacement latent, des regards sombres autour de nous. Nous avions votés, mais avec un certain détachement. Je me rappelle que nous avions hésités avant de rejoindre Bastille. On avait vaguement entendu qu’il y avait un rassemblement de prévu quelque soit le score… Rien de plus. Malgré la crainte de se retrouver entourés d’une masse de MJS pleurnichards déguisés de Pin’s Ségo, on avait décidé d’y aller, sans trop d’idées en amont.
Arrivés sur place, nous tombons nez à nez avec un motard de l’AFP. La sono de sa moto diffuse l’information du soir, sans surprise. Et sans évoquer le score. Un journaliste Radio exulte et évoque la virée en limousine de Sarkozy, suivit par une meute de motards. Le ton est donné, un attroupement se crée autour du journaliste de l’AFP. Celui-ci est sans réaction, attentif, abasourdit.
Nous gagnons la place. Environ 300 à 400 personnes sont regroupées dans un coin. Beaucoup de babos, dont quelques un déjà excités. Devant ce constat, nous décidons d’aller dîner rapidement dans un kebab du coin, désert. Une demi heure plus tard, la place s’est remplie. Difficile de chiffrer, peut être 600 à 700 personnes. Nous croisons quelques copains. On fait le tour, on dit bonjour à tout le monde. Pas mal de mecs isolés, casque à la main, quelques « mecs de cités », des totos… On repère, entre autres, quelques groupes de supporters du Paris SG, notamment ceux qui s’étaient opposés violement aux indépendants du Kop de Boulogne. Autrement dit : C’est plutôt bon signe.
Il y a aussi une poignée de journalistes connus, le visage décomposé.
Le soleil se couche, de l’autre coté de Paris c’est la fête. Ici, ça va être chaud. L’atmosphère devient intense, les slogans sont de plus en plus repris. Une jeune fille en pleurs lance le thème central de la soirée « Sarko on t’encule ! ». Les slogans réfléchis sont rares. Quelques feux sont allumés par ci par la. Des mecs montent sur le monument, taguent des tas de trucs. Un mec monte plus haut, et inscrit en gros « Hitler 1936 – Sarkozy 2007 ». Style direct, jouissif quand on le vit de l’intérieur.
Les MJS arrivent sur la place, avec leurs portraits de Ségolène. Finalement ils ne sont pas chahutés.
Même si ils étaient présents aux alentours, les Gardes mobiles investissent la place. Ils donnent le coup d’envoi aux festivités. Les épiceries du coin on été dévalisés, toutes les bouteilles sont sur la place. Principalement des petites bouteilles de bière. Je me rappelle avoir été peu bavard avec mon pote. On observait beaucoup, je pense qu’on avait la sensation de vivre un instant historique d’une certaine façon.
Certains groupes s’installent devant les lignes de gardes mobiles, de manière pacifique, mais bizarrement c’est chez eux que la tension monte et que les premières bouteilles volent. Du coup c’est parti : de partout, les forces de l’ordres sont attaquées. Premier constat, le bruit continu des bris de verres sur toute la place est impressionnant. Le deuxième est de taille : Il n’y a pas d’interventions groupées de policiers en civils, comme c’est le cas lors des fin de manifs. Le troisième, c’est qu’il fait nuit. Je mets alors mon foulard, mon pote retire son tshirt et en fait une sorte de cagoule. C’est parti. Très vite, dans l’excitation des aller retours (il faut aller chercher des bouteilles un peu partout, les lancer et aller en rechercher), on se perd. Puis on se retrouve, on se tape les mains. On crie beaucoup, on chante intérieurement. C’est personnellement la première fois que je m’attaque de façon si directe à des flics. La rage et la haine se lit sur les visages. Beaucoup de pleurs, une tristesse générale se ressent.
C’est le début du feu d’artifice. Les gaz lacrymos sont tirés sans réserve dans la foule. Sur les marches du théâtre, une foule compacte regarde les événements, comme des supporters, mais sans participer. Un tir de lacrymo les dispersent et les amène sur la place: Ca nous fait du renfort. Ces tirs de lacrymos sont impressionnants, ils volent très haut dans le ciel et explosent en plein vol. Certains s’extasient : « C’est Bagdad ! ». Très vite, les lacrymos font effet. Nous résistons quelques minutes, avant que la foule agitée soit handicapée par les gaz.
Survient alors l’une des anecdotes les plus marquantes de la soirée : je suis cloué au sol, je ne peux plus ouvrir les yeux, et je ne m’arrête plus de tousser. Un jeune couple, légèrement à l’écart, vient alors s’occuper de moi et me met des gouttes dans les yeux. Le geste est tellement beau que je repars immédiatement à l’aventure, après remerciement bien sur. Cette scène se répétera plusieurs fois dans la soirée. Dans cette émeute programmée, nous avions dans nos troupes nos « médecins » et plus généralement une solidarité incroyable, face à… je ne sais plus trop : Sarkozy ? les flics ? les français en général ? Un peu tout à la fois. Une rage spontanée, venue de l’intérieur et un réel sentiment de honte d’être français à cet instant.
Je n’ai aucune idée de l’heure qu’il peut être, mais ce que je sais, c’est qu’on a plus rien sous la main. C’est la qu’un bruit improbable se fait entendre. Nos bouquins d’histoire avaient raison : « Sous les pavés, c’est la plage ». Une partie de la place est dépavée, une réelle entreprise de travail à la chaîne se crée : les premiers creusent (et c’est réellement impressionnant, car défaire un pavé est très dur), le seconds regroupent les pavés qui sont passés de mains en mains aux lanceurs, qui selon leur volonté les jettent de loin ou de près sur les gardes mobiles. Même si l’on ne voit pas les visages des flics, il s’agit d’une épreuve psychologique : le bruit et le poids des pavés qui cognent sur leurs boucliers les gênent.
C’est le début du vrai travail de dispersion. Sans efficacité au début, il isole une grosse partie des troupes vers une sorte de chapiteau, sous lequel se tient un salon de déco, ou un truc du genre (à vrai dire je ne m’en souviens plus du tout). C’est une grosse erreur de stratégie de la part des flics. Malgré la présence de vigiles (dépités), le chapiteau est visité par des dizaines de manifestants qui en ressortent avec un arsenal inédit fait de meubles, chaises, verres en pagailles… Des barricades sont installées. Mon pote ressort avec… une jardinière. Tel un athlète, il s’empresse de faire une course et de la jeter au plus près d’une ligne de flics. Plusieurs photographes le suivent et prennent un tas de photo de son lancé. Je me dis qu’il sera en pleine page dans les journaux le lendemain.
Le temps passe, la place se vide et la police gagne du terrain. Une voiture de la Ratp brûle dans un coin de rue. Le gros de la foule, qu’on peut diviser par deux par rapport au début des festivités, est bloqué derrière le théâtre. Ce coup ci, il est impossible de retourner sur la place. Une jeune fille fait une grosse crise d’asthme (l’air est irrespirable depuis une grosse heure, avec des tirs de lacrymo incessants…) devant nous, nous essayons de l’aider en la plaçant à l’abri. Repliés dans des ruelles, la possibilité d’une interpellation devient quasi nulle et c’est ce qui provoque le début des gestes stupides : autour de nous ça casse, ça renverse des scooters… Même si on ne s’en rend pas compte, c’est très bruyant autour de nous, ça gueule beaucoup, même si temporairement le président est épargné au profit des flics. En arrivant vers gare de Lyon, le paysage est hallucinant : des dizaines de voitures renversées, des vitrines éclatées et des panneaux couchés.
Rentré chez moi, au calme, je me rends compte que les médias n’ont pas, ou très peu parlés de Bastille.
Quelques jours plus tard, des journalistes indépendants se sont étonnés que ces événements aient été zappés par les grands groupes de médias français. Dans toutes les grandes villes de France c’était le bordel et le peuple français n’en savait quasiment rien.
Ceux qui se sont fait arrêter ont prit plusieurs mois de prison ferme.
Il m’est arrivé de repenser à tous ces visages croisés ce soir la, à tous ces agitateurs d’un soir. Tous ceux qui n’ont pas respecter les règles du jeu, instinctivement. De cette soirée, je m’en rappellerai.