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16.9.10

Soirée de poche



On a quelque part un tiroir plein de trésors cachés, de petits bouts qu’on a accumulés au fil du temps et qu’on ne trouve jamais le temps de monter. Pas parce qu’on n’a pas envie, mais parce qu’on manque toujours de temps et de moyens. Dans ce tiroir, il y a Lykke Li dans une mansarde et Toumani Diabaté en famille. Et il y avait les Walkmen, ce groupe qui a réinventé en une poignée de disques le concept même de classe. A l’approche de leur nouvel album, on s’est dit qu’il fallait quand même faire quelque chose.

C’était il y a un peu plus un an et demi, dans un appartement bourgeois du boulevard Magenta. Moulures au plafond et vue sur la Tour Eiffel à l’horizon. Il faisait froid et on finirait la soirée en se réchauffant au whisky. Ce soir-là, les Walkmen fêtaient leur 10 ans avec nous, par pur hasard. La joie des coïncidences. Un e-mail balancé au petit bonheur la chance, un groupe qui accepte de venir un jour plus tôt à Paris et qui se rend compte presque en direct que, voilà, ça fait une décennie qu’ils jouent ensemble.

Pendant un moment, ils ont l’air de ne pas y être. Migraine foudroyante pour l’un, décalage horaire dans la gueule pour les autres. Et puis, petit à petit, les choses se tendent, prennent de la consistance. Hamilton chante toujours un peu en regardant le plafond, donne l’impression qu’il est un peu ailleurs, mais il se lâche de plus en plus. Il est pris entre l’attention presque religieuse des fans assis juste devant lui et les glapissements des filles qui derrière lui hurlaient entre les chansons, accompagnaient les montées, ne laissant aucun silence s’installer. Et justement, cette nécessité d’aller au fond des choses et de surnager, c’est sans doute ce qui fait des Walkmen ce qu’ils sont. Des inlassables qui ne créent des instants de beauté que dans la tension, malgré les heurts, les cris. A l’arraché. A l’épaulé-jeté. Des ouvriers qui ramènent en pleine lumière, à la force des poignets, en bout de course, des phrases comme « The darkness is wrapped all around me tonight ».

Dans ce film, il reste 5 chansons de la courte performance qu’ils donnèrent ce soir là. Trois sont tirées de You & Me, leur chef d’oeuvre de 2008. Donde Esta La Playa sans électricité, Red Moon sans cuivres, New Country toute nue... toutes portées, catapultées, par la voix d’Hamilton Leithauser et par les Walkmen qui le suivent sans sourciller, chacun veillant au grain, précis, compact. Soudés. Au milieu, une petite rareté qui provient d’un split-EP de 2002.

La dernière n’avait pas encore de titre à l’époque, et c’était la première fois qu’ils la jouaient en public. Chez notre hôte ce soir là, il y avait un portrait dédicacé de Leonard Cohen pieds nus sur une plage californienne. On avait d’ailleurs demandé aux Walkies s’ils se sentaient de refaire leur reprise de « The Old Revolution ». Ils firent mieux. Cette chanson - « Blue As Your Blood » - c’est un peu comme si le vieux Canadien leur prêtait des mots, ou comme s’ils les prenaient de force plutôt, comme s’ils lui rappelaient qu’il fut un temps où l’ardeur avait plus d’importance pour lui que l’élégance. Voilà, dans ce film, c’est surtout ça que vous verrez : de l’ardeur en toute chose, sans esbroufe et sans manières, qui se disperse dans l’air et dont on espère conserver un petit bout par-devers soi, pour les longues soirées d’hiver.

Photo par Antoine Doyen

La Blogotheque

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